Bronson, la montagne au sourire de pierre
De Charles Buchinsky, alias Charles Bronson, on retient, à tort, ses derniers films (notamment les suites du Justicier dans la ville), tournés dans les années 80. Purs produits de consommation destinés à rapporter des paquets de dollars sur un personnage identique : le justicier tueur de dealers, de petites frappes. Mais Bronson était-il encore Bronson à cette époque ? Bouffi, au visage martyrisé par la chirurgie esthétique. Bien loin de ce visage d’Indien buriné aux moustaches de gitan qu'il offrait aux spectateurs à ses débuts d'acteur. Ces films des années 80, devenus un genre à part dans les rayons, et dans lesquels Charles Bronson «devenait une attraction de fête foraine. On le visitait comme on entre dans un train fantôme, en riant».
Aujourd’hui, méprisé par les cinéphiles et la critique, absent des programmations télévisées, Charles Bronson se refait le portrait sous la plume du journaliste Arnaud Sagnard. Cinq ans de recherches, d’entretiens et de visions de films pour publier «Bronson» (éd. Stock). Un premier roman. Un roman ? Plutôt une exofiction. L’objectif de l’auteur ? Faire tomber le masque de la star et déceler ce qui se cache derrière ce «sourire de pierre», pour reprendre l’expression du réalisateur Samuel Fuller.
S’il suffit aujourd’hui de dire que l’on aime les films de Bronson pour faire naître un sourire imbécile, il faut pourtant se rappeler les grands classiques tournés par cette montagne de muscles : Les sept mercenaires, Il était une fois dans l’Ouest, La grande évasion, Adieu l'ami, Le passager de la pluie, L’homme au masque de cire, Les 12 salopards, Monsieur St Yves…
L'enquête biographique, menée par le narrateur, qui n’est autre que l’auteur lui-même, se base sur un film joué par Charles Bronson, The Mecanic (mal traduit en français sous le titre Le Flingueur). Un film étonnant, méconnu, qui permet de retracer par l’exemple toute la mécanique de jeu développée par cet acteur taiseux, dont les émotions s’exprimaient plus par la gestuelle que par la bouche. Ce qui rend son approche d’autant plus difficile. Comme s'il vous venait à l'esprit de grimper sur une roche lisse à mains nues. Un acteur, comme taillé dans la pierre, au sourire plein d’assurance, capable semble-t-il de faire face à tout. Et pourtant, derrière cette carapace, se cachait un être fragile, salement amoché par la vie et parti avec un sérieux handicap dans la vie. Naître dans une famille d’émigrés slaves, devoir passer sa jeunesse au fond d’une mine avec son père et des frères. Puis risquer sa peau dans un bombardier au-dessus du Pacifique avant de pouvoir goûter, enfin, au rêve américain, sous le soleil de Californie. Des films centrés sur son physique, à défaut d'avoir un jeu plus intellectuel.
Dès ses premiers rôles, ses compagnons de tournage, comme les réalisateurs, ont tous cherché à comprendre qui était Charles Bronson, cet acteur soucieux de ne jamais se dévoiler, d’éviter le mot de trop. «Il n’est pas fait de muscles mais de nerfs. Le nerf Charles Bronson, le plus souvent filmé à son plus haut degré de calme et d’impassibilité. Il veille, comme la vie et la mort toujours en activité en dessous des choses». La mort, troisième personnage de ce roman. Omniprésente, soucieuse de se rappeler au bon souvenir, tant de l’acteur que de l’auteur.
«Si les morts pouvaient parler, ils auraient sans doute la voix de Charles Bronson». Une phrase, terrible, qui reste en mémoire, longtemps après avoir refermé le roman. «La mort ne l’abandonne pas, peut-être parce qu’il la tutoie depuis son enfance ou parce qu’il a été son héraut et son interprète le plus fidèle».
Un roman émouvant, presque une thérapie, qui permet de faire remonter à la surface de multiples souvenirs familiaux, souvent douloureux. Ceux de Charles Bronson, mais aussi ceux de l'auteur. Liés à la maladie de son père, de ses enfants ou de lui-même. Comme ce jour où il a vu la mort arriver, du fait de poumons endommagés. Soit dit en passant, le sort connu également par Bronson, avec des poumons rongés par ce foutu charbon extrait des mines de Pennsylvanie, alors adolescent.
Un roman passionnant, nostalgique. Du moins pour les plus de quarante ans. Ceux qui ont vécu l’adolescence dans les années 80, avec ces vidéoclubs où les films se louaient sous forme de cassettes magnétiques à lire sur un magnétoscope, appareil aujourd’hui rangé au musée. Ces boîtes noires qui ont permis à l’auteur de se faire les dents sur la filmographie de Charles Bronson, une star virile, aux pieds d’argile. Et de goûter à l'envie de le rencontrer, par les mots. Comme un ultime face à face avec l'homme au masque de cire.
«Charlie, who the fuck are you ? Death!»
Philippe Degouy
«Bronson», roman d’Arnaud Sagnard. Éditions Stock. 269 pages, 19 euros environ
Couverture : éditions Sagnard
Note : un roman qui figure dans la sélection d'oeuvres 2016 pour le prix Médicis.
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